Commerce de détail : Quand tout se jouait sur le terrain
Commerce de détail: quand tout se jouait sur le terrain
Dans les décennies précédant l'an 2000, la règle d'or du succès en commerce de détail était claire : l'emplacement, l'emplacement, et toujours l'emplacement. La prospérité d'un magasin était directement liée à la qualité de sa localisation. Mon expérience avec nos grandes marques québécoises, tel Rona, Desjardins, La Cage ou Mondou, qui ont bâti la présence de leurs marques au Québec en investissant massivement dans les études de marché, était en analysant avec eux les flux piétonniers, les caractéristiques démographiques des quartiers et les principaux axes routiers pour trouver "le bon endroit". Leur succès se mesurait alors à l'affluence d'un centre commercial ou à la densité d'une rue commerçante.
Cependant, cette stratégie, bien que performante, était rigide. Le commerce physique était limité par sa situation géographique. Vendre au-delà de quelques kilomètres de la zone d’achalandage immédiate représentait un grand défi. Par exemple, les pétrolières étaient prêtes à aller en surenchère pour acquérir les coins de rues les plus passants. Des emplacements situés sur le chemin du “retour à la maison” étaient les plus convoités car les consommateurs pouvaient y arrêter après le travail pour faire leur magasinage. En bref, les commerçants recherchaient les localisations les plus visibles et surtout les plus accessibles.
La Localisation : Pilier du Succès du Commerce de détail
L'immobilier commercial était la pierre angulaire du succès. La prospérité dépendait de l'habileté des équipes spécialisées en analyse territoriale et du choix judicieux des emplacements stratégiques. Ces décisions cruciales s'appuyaient sur :
Les études de flux piétonniers : Réalisées manuellement, ces études déterminaient le mouvement du public et permettaient de déterminer les emplacements localisés aux endroits de grand trafic piétonnier.
Les données socio-démographiques : Issues des recensements, elles ciblaient la clientèle potentielle (âge, revenu, composition familiale) pour identifier les segments de population convoités par marché.
La proximité stratégique : L'accès aux artères majeures et aux nœuds de transit garantissait une visibilité et une accessibilité optimales permettant d’identifier des pôles centrales et secondaires pour divers commerces et types d’offres.
Un emplacement idéal assurait une fréquentation naturelle, faisant de l'investissement immobilier le plus important et déterminant. Au début des années 2000, face à la forte expansion des caisses populaires au Québec, Desjardins a centralisé des opérations dans plusieurs municipalités au Québec. L'objectif était de regrouper les services des différentes caisses en des lieux centraux, choisis selon des critères stricts de proximité, de visibilité et d'accessibilité pour maximiser la portée auprès de ses membres actuels et futurs.
Le Magasin : Centre Névralgique de la Relation Client
Dans cette stratégie, le magasin était bien plus qu'un simple lieu de vente; il était le point de contact unique et tangible avec les clients, le pivot central de toutes les interactions. Le magasin occupait alors plusieurs fonctions :
Une vitrine pour la marque : Les consommateurs découvraient les produits, pouvaient les toucher, les essayer. Le design intérieur, la présentation des articles et l'ambiance sonore définissaient l'identité de la marque.
Un lieu unique pour la transaction : C'était le moment clé de monétisation. L'accueil du personnel, la qualité du service client et l'efficacité du processus d'achat étaient cruciaux afin que le client puisse procéder à son achat.
Un centre de services : Le magasin offrait un service d’accompagnement complet : retours, échanges, conseils d'experts, démonstrations et gestion des garanties.
L'expérience client était entièrement physique et reposait sur cette interaction directe en magasin. Chez Pier1 Import, où j'ai travaillé quelques années durant ma jeunesse, l'expérience client était entièrement physique et directe en magasin. Chaque mois, le magasin changeait de look, transformait complètement ses vitrines pour y exposer une nouvelle thématique. D'ailleurs je voyais souvent les mêmes clients et clientes revenir pour découvrir les nouveautés, parler avec les conseillers et conseillères en vente qui devenaient une riche source d'information afin faire découvrir et apprécier les produits. La clientèle venait voir les démonstrations durant lesquelles ils étaient encouragés d’essayer les produits à la maison, les retours et remboursements de marchandises étant sans tracas. Cet expérience m’a vite fait comprendre que les consommateurs vivaient pleinement la marque en magasin avant de le vivre à la maison, et j’ai réalisé l’importance de l'expérience client en magasin.
Les Limites d'un Modèle Rigide en Commerce de Détail
Bien que ce modèle d'affaires ait engendré des succès considérables, il présentait des limites évidentes :
Une portée géographique restreinte : La zone d'influence d'un magasin était limitée à son environnement immédiat, ce qui réduisait le potentiel de croissance.
Des coûts élevés d'expansion : L'ouverture de chaque nouvelle boutique exigeait un investissement massif (acquisition/location, aménagement, approvisionnement, personnel). L'expansion était coûteuse et longue.
Une difficulté à atteindre des niches : Sans présence physique spécifique, cibler des clientèles particulières ou des segments de niche était difficile et économiquement insoutenable sans multiplier les sites ou les modèles de boutiques.
On peut penser aux efforts de la SAQ avec la SAQ Signature, la SAQ Classique ou encore la SAQ Express avec des heures allongées en centres urbains. A Desjardins, avec ses succursales 360d stratégiquement localisées près des établissements universitaires afin d’atteindre une nouvelle génération de membres. Ou encore à RONA, avec les centres Rona Le Rénovateur créant ainsi de petites quincailleries de quartier.
Ce modèle du magasin bien localisé a prospéré tant que les consommateurs se déplaçaient pour leurs achats. Cependant, l'arrivée des années 2000 et l'émergence du numérique allaient transformer le commerce de proximité en commerce numérique, annonçant un changement historique. Certaines grandes marques de l’ère de la localisation n’ont pas vu venir ces grands changements ou n'ont pas su comment s'y adapter. Voilà pourquoi certaines générations n'auront pas eu l'occasion de connaitre SEARS, EATON'S, ZELLERS, ou encore, LABAIE qui a également dû fermer ses portes tout récemment.
Conclusion : L'Évolution du Commerce de Détail au Québec
Dans les années 1990 et début 2000, le commerce de détail au Québec reposait sur la localisation. Ma propre agence marketing, fondée dans les années 2000, s'était spécialisée dans cette localisation pour réseaux de succursales, prédisant les performances commerciales des emplacements stratégiques pour les plus grandes marques québécoises. Néanmoins, ce succès était basé sur un modèle qui allait vaciller. L'émergence d'un monde où le commerce ne dépendrait plus d'une adresse physique mais s'inscrirait dans un parcours digital, accessible et fluide, a redéfini l'expérience d'achat. La succursale demeure à ce jour un ingrédient crucial dans la réussite du commerce de détail par contre elle a dû évoluer considérablement afin de répondre à la nouvelle réalité.
Dans mon prochain article nous explorerons comment la barrière physique s'est estompée, créant un commerce plus agile, interconnecté et complexe, dans lequel le monde physique et digital collaborent.